Originaire de l’État de la Californie aux États-Unis, je suis établie à Tokyo au Japon depuis presque trente ans. Mes activités professionnelles ici et à travers la région de l’Extrême-Orient comprennent des responsabilités spécialisées, comme les services juridiques, la gestion des ressources humaines et de la consultation en matière de gestion. J’ai agi comme experte-conseil auprès de plus de 60 grandes sociétés multinationales occidentales et j’offre les mêmes services aux sociétés japonaises qui cherchent à s’établir sur le marché international.
Mes activités professionnelles portent avant tout sur la formation de dirigeants à l’échelle mondiale. Sans aucun doute, le défi omniprésent, et malheureusement trop souvent sous-estimé, est d’ordre linguistique et culturel.
Mes premiers contacts avec la culture japonaise remontent à la fin des années 70 au moment où je terminais une année d’étude à l’étranger. À cette époque, bon nombre d’entreprises japonaises manifestaient beaucoup d’enthousiasme pour les valeurs occidentales; les Japonais misaient sur leur capacité de communiquer en anglais. Pour de nombreuses raisons assez complexes, il y a eu un renversement de la vapeur; en 2021, le Laos est le seul pays de l’Asie du Sud qui se classe plus bas que le Japon en ce qui concerne la capacité de communiquer en anglais.
Les conséquences négatives de ce lent virage sont à la fois subtiles et pas si subtiles. Pour combler le vide linguistique aujourd’hui, le Japon a régulièrement recours à une communauté restreinte de professionnels langagiers qui interviennent à titre de relais avec les parties prenantes occidentales. Les grandes ententes commerciales ont toujours été négociées par des cabinets de droit anglo-américains. Les consultants au Japon n’ont d’autre choix que de faire confiance à leurs partenaires étrangers dans les négociations internationales complexes. De moins en moins de Japonais s’inscrivent dans des programmes internationaux de formation en affaires et très peu acceptent les assignations à l’extérieur du pays.
Dans le contexte technologique contemporain, on a l’impression que les Japonais attendent avec impatience le perfectionnement d’outils de reconnaissance vocale comme SIRI, au lieu de se mettre à la tâche longue et ardue d’apprendre une langue étrangère. S’il est vrai que beaucoup de Japonais ont de bonnes compétences fonctionnelles en anglais, et en d’autres langues étrangères, ils sont plus réservés lorsqu’il s’agit de prendre la parole et de s’exprimer dans ces nouvelles langues par rapport à leurs homologues asiatiques. Au cours de ma longue carrière comme consultante, j’ai constaté que pendant les longues réunions d’affaires au cours desquelles les ressortissants chinois, coréens, malaisiens et autres s’engagent avec enthousiasme dans des négociations commerciales, les Japonais semblent préférer garder le silence.
Ce refus de s’engager auprès de parties prenantes internationales entraîne des situations plutôt inhabituelles au sein des sièges sociaux d’entreprises japonaises multinationales qui fonctionnent plutôt comme de simples « succursales », se privant ainsi de l’accès au développement international.
Quelle est la solution ?
Selon un rapport publié par McKinsey en 2011, le Japon a quand même identifié des choix impératifs « passe ou casse » pour la survie de l’économie japonaise:
La reconnaissance de l’anglais comme langue des affaires.
L‘adoption d’une stratégie audacieuse de gestion de talents, comprenant 1) des initiatives en matière de diversité; 2) la rotation régulière d’employés japonais et étrangers; et 3) l’imputabilité des services de ressources humaines pour l’adoption et l’application de ces facteurs de succès.
L’établissement d’une fonction de marketing mondial pour renforcer la reconnaissance de la marque.
Tirer profit du développement stratégique des affaires; des fusions et acquisitions; des co-entreprises; et des alliances stratégiques.
Ces recommandations et stratégies ont été adoptées largement par la communauté des affaires, mais au Japon le progrès a été plutôt lent. Il y a quand même quelques exceptions, comme les entreprises Shiseido, Fast Retailing, et Rakuten, qui insistent sur l’utilisation universelle de l’anglais comme langue de communication dans le milieu des affaires. Trop nombreuses sont les entreprises japonaises qui traitent ces recommandations comme des vœux pieux. Les jeunes Japonais d’aujourd’hui qui possèdent des compétences linguistiques et qui souhaitent poursuivre une carrière internationale reçoivent trop peu de soutien au sein de leurs organisations. Les Japonais expatriés qui ont eu du succès à l’échelle internationale ne sont pas toujours accueillis favorablement lorsqu’ils souhaitent réintégrer leur pays d’origine. Les employés étrangers au Japon — c’est-à-dire les personnes qui ont acquis des compétences linguistiques et des connaissances culturelles – ont beaucoup de difficulté à gravir les échelons au sein des entreprises. À quelques exceptions près, les multinationales japonaises réussissent de moins en moins à faire valoir leurs marques. Plusieurs entreprises n’écoutent pas, ou ne peuvent pas écouter, les recommandations de leurs employés et clients à l’extérieur du Japon. La capacité et l’acuité en affaires sont entravées par des contraintes d’ordre linguistique et technique ainsi que par la délégation de ces fonctions à des experts externes qui ne comprennent pas toujours les opérations quotidiennes de grandes sociétés. Tout bien considéré, TOUT tourne autour de la langue, du confort et de la confiance de travailler dans des langues étrangères. Ne pas en tenir compte risque d’entraîner des conséquences indésirables. Le cas du Japon nous enseigne beaucoup. Il s’agit peut-être d’un pays qui a été paralysé par son propre succès et, comme beaucoup d’autres pays, le Japon doit apprendre à faire preuve de créativité pour surmonter les contraintes culturelles et linguistiques actuelles. Leslie Taylor The Human Element LLC ザヒューマン エレメントゴウドウ